lundi 5 décembre 2011

Pauvres

Ma mère parle peu de son enfance. Lorsque ça lui arrive, elle parle surtout de repas. Elle dit il n'y avait pas de légumes, pas de fruits, on mangeait surtout des pâtes. J'allais chez ma soeur plus vieille pour boire du lait de vache, on avait pas de lait de vache chez-nous. Elle dit du lait de vache et ça me fait rire. Je n'ose pas demander quel sorte de lait elle buvait dans sa maison. Elle trouve ça drôle, un peu comme je trouve drôle moi aussi d'avoir eu à porter les vêtements usés de mes soeurs. Personne n'en meurt. J'essaie de voir à quoi elle ressemblait cette réserve, ce village pauvre, habité par des gens pauvres, qui subsistaient à grandes poches de patates et de farine.

Puis j'entends parler d'une réserve, dans le nord de l'Ontario, la belle et riche province, l'Ontario. Ces échos de pauvreté in-crédible jusque dans nos téléjournaux locaux québécois. Attawapiskat, un village que je ne connaissais pas avant de voir la photo de presse d'une cabane construite moitié en toile, moitié en planches. On n'y croit pas. Encore de ces exceptions généralisées. On voit les vieux et les enfants, les parents inquiets et les cabanes qui se multiplient. C'est un village tout entier. Ce sont des membres des Premières Nations, des Canadiens. C'est la minorité invisible. Ceux qui habitent des parcelles de territoire réservées. Attawapiskat, fondé en 1950. Près de deux milles habitants. À quel moment ces gens ont-ils choisi d'être pauvres? Car si on peut créer la richesse, on peut également créer la pauvreté.

Je déteste le mot "réserve", comme je déteste l'idéologie que renferme ce mot. Je suis outrée par la péjoration, par le racisme et le cloisonnement de ce mot. Mais je l'utiliserai. Je continuerai à parler des réserves tant qu'elles existeront, tant que la loi canadienne et les normes sociales resteront les mêmes. Toutefois, je ne suis pas désabusée, au rythme où vont les choses, dans le cri grandissant des premiers peuples, je sais qu'un jour elles changeront.

dimanche 4 décembre 2011

Le recul

Il m’arrive, devant autant d’encouragements et d’approbations et de félicitations, dus à mon livre, de me dire que je ne le mérite pas. J’en suis consciente, ma mère plus que moi. Les gens m’invitent pour que je puisse parler de mon livre à des classes, à des publics, et j’accepte sans savoir ce que je leur raconterai. À quel moment me suis-je forgé une opinion solide sur l’écriture, sur ma culture, sur mon propre livre? Elle m’est tombée dessus, cette notoriété ou appelez ça comme vous voulez. Le fait que ma parole soit écoutée. C’est presque incroyable. Je ne pense pas en avoir rêvé avant. Voulez savoir ce à quoi je rêvais, avant?

Je rêvais d’une maison, petite, bâtie exprès pour moi. Sur le bord de la mer, tout près de l’eau, la Côte-Nord qui longe le fleuve. Une maison en bois avec une galerie peinte en blanc. Derrière, la forêt épineuse. Enseigner aux jeunes de mon peuple. Leur dire tous les jours qu’ils sont les meilleurs. Leur apprendre le français et la fierté d’être soi. Apprendre d’eux le façonnement du savoir, l’éternelle mutation des idées. Leur souhaiter bonne route et recommencer, sans cesse. J’ai bien rêvé d’un livre à publier, quelque part entre les boires du matin et les devoirs à finir. Quelque part entre ma solitude et les veillées tardives.

Aujourd’hui, je regarde la route des possibles. Je l’avoue. Je ne croyais pas que la vie était si vaste. Fluide même, capable de se glisser entre les convictions et le quotidien monoparental. Le mondial et les jouets qui traînent. Je savais, ou j’aime croire que je savais, que rien n’est impossible. Pourtant, plus le rêve devient palpable, plus tout me semble irréel.

Et puis tout ce qui me vient en tête ces jours-ci, le goût d'écrire quelque chose de neuf.

Mais pas pour le rêve, pas pour les autres. Juste pour la poésie qui m'appartient.