lundi 23 juillet 2012

Ravagé

Ne désirer qu’une chose, l’amour. La douce tendresse de quelqu’un qui saurait l’imperfection, les erreurs et l’idiotie. Qui saurait donner, caresser la main tendue. Un baiser qui guérit l’écorchure. Qui calme la douleur. Qui apaise, l’espace d’un instant ou d’une vie. La justesse du ton, celui qui comprendra sans juger. Qui saura que la peine est immense, le cœur vide, l’enfance blessée. Avoir tant à demander mais ne désirer que cela. Même l’amour instable, fatigué, maladroit. Même des poussières, même ravagé. Parce que la nuit est noire, noire. Et qu’à force de s’y perdre naît l’envie de ne plus être. Au bout de son propre souffle et quémander l’amour des yeux, de la bouche, des larmes, des mains, de la peau, des plis de la peau. Savoir que mourir demain est possible, mais garder l’espoir d’être aimé, avant.

lundi 16 juillet 2012

Innu-assi

Bien sûr, nous sommes différents. Nous parlons une langue différente, bifurquons quelques fois vers la vôtre, pour mieux nommer la modernité, l’espace numérique nouvellement créé. Nous habitons des villages que d’autres appellent réserves, mais si vous saviez la langue, vous comprendriez que nous habitons le territoire. Bien sûr, nos maisons sont faites de bois, de ciment enfoui dans la terre. Nos maisons n’ont pas de briques. Nos clôtures ne sont jamais assez tenaces pour ceux qui connaissent la distance. Nos foyers jamais assez chauds, pour ceux qui se nourrissent d’accolades. La proximité c’est ce qui nous a nourris, élevés, faits devenir hommes et femmes. Nous sommes habitants du Nord, nous vivions sous des tentes. Bien sûr les yeux des enfants brillent comme partout ailleurs, s’illuminent devant le plaisir flagrant d’une crème molle ou d’un après-midi près de l’eau. Et ces enfants grandissent, et bien sûr, confrontés aux réalités d’adultes, cherchent leur chemin, eux aussi. S’égarent. Et se retrouvent, eux aussi. Bien sûr, nous vivons sur le sable. Près de l’eau et des lacs. Nous baignons nos corps assoiffés, un mois l’an, quand le soleil nous offre sa chaleur. Et ce lointain que nous observons, nous offre un infini, un rêve. Bien sûr, les femmes crient après leur homme, les punissent d’infidélité. Puis elles pardonnent au père de leurs enfants. Bien sûr nous aimons la bière et le vin, l’ivresse tranquille et la musique douce. Les soirées qui s’éternisent, dans lesquelles on danse toute la nuit. Bien sûr, on meurt et on naît. On se lamente et on prie. On se marie pour la vie. On aime et on jure. On espère. On rêve. Bien sûr, nous sommes différents.

dimanche 15 juillet 2012

Vieille

Elle regarde passer les jours. Certains observent les étoiles la nuit, d’autres assis devant leur maison regardent passer la vie. Ils ont le droit et parce qu’ils le prennent, le droit, ils se retrouvent près de la barrière invisible. Ça s’appelle l’ennui. Dans ses yeux tout noirs, plus profond qu’un cercle d’eau sur une mare, les gens, quand ils la regardent, et qu’elle leur fait signe assise sur sa chaise en bois, ils voient la distance. Elle les embrasse lorsqu’ils s’approchent d’elle, parce qu’ils l’appellent Tshukuminu, quand ils lui parlent. Des cheveux à peine gris et de la lourdeur sur les hanches. Des gestes lents. Des plis sur les mains. De l’ennui, à peine caché dans les yeux. Certainement, il y a un moment où le passé est plus fort que demain. Où elle se retrouve complètement nue, dans un monde qui ne lui appartient plus. Parce que les enfants de ses petits-enfants arrivent en courant, quêtant un dollar ou deux. Les endroits qui étaient siens, à force de les habiter, sans contrat d’achat, sans avoir eu à payer. Le coin de la rue, où elle avait bâti un foyer sûr et chaud. La poussière, toute cette poussière sur les murs. Toute cette poussière qu’elle avait respirée. Et le sable qu’elle avait balayé. Des années entières. Pour être prête quand le train arriverait, qu’elle le verrait descendre avec son sac sur le dos. Qu’elle verrait son sourire. Qu’il l’a prendrait dans ses bras. L’éternité parfois c’est quelques mois. Elle n'aurait jamais voulu qu'il parte avant lui. Se réveiller un matin, et prendre conscience qu'il l'avait laissée, pour jamais. Elle n'avait jamais vécu autre choses que l'attente et le retour. Les sentiments opaques de bonheur et de tristesse. Elle reste assise, longtemps sur sa galerie. Semble absente, dans un ailleurs où elle pleure sans gêne. Les gens commencent à murmurer. La sénilité ou l’oubli. Elle s’éloigne chaque matin. Moi, moi je sais que c’est l’ennui.