samedi 20 octobre 2012

Speed dating littéraire

L’idée m’a plu. Rencontrer de parfaits inconnus, leur raconter Kuessipan, mon livre, et échanger sur la probabilité de la lecture future. Ça me semblait simple, concret. Tenter de charmer les lecteurs, un par un. Le premier, il était roux, une cinquantaine d’années. J’ai déblatéré, sur ma vie, mon regard, le « à toi » et la méconnaissance des miens. Inconsciente qu’il voulait peut-être discuter. Le temps de prendre une gorgée d’eau, il a tenté une question et la clochette a sonné. Le second était jeune, un Belge. J’ai compris qu’il fallait peut-être que je parte de la base. Qui sommes-nous. La nation Innue, les premiers peuples. Le regard de l’autre. La peur d’être distinct. Le ravissement de l’être. Cinq minutes pour expliquer l’Histoire de l’Amérique. C’était de l’acharnement. J’ai dis bonne soirée. La suivante, une femme intéressée, qui avait suivi la route 138, jusqu’à l’embouchure, jusqu’à la mer. Elle avait écrit un livre qui se passait sur la Côte. Elle m’a dit le titre, puis qu’elle n’était pas venue pour parler de son livre, mais m’entendre parler du mien. J’ai déblatéré. Encore. Clochette. Dans l’espace de deux heures, j’ai rencontré 34 supposés lecteurs. Pas nécessairement les miens. Ceux des autres sans doute, intrigués et intéressés. Dans l’espace de deux heures, j’ai eu l’impression de n’avoir rien dit. Ni sur la façade, ni sur ce qui m’importe, ces temps-ci. L’Histoire réelle. J’ai fait une caricature, même si je préfère peindre des murailles, même incomplètes, même partielles. J’ai posé des questions qui me semblaient normales : connaissez-vous les Innus? Puis devant les réponses pitoyables, j’ai fait semblant de rien. Ce soir, pour la première fois de ma vie, j’aurais voulu avoir écrit un livre sur l’adolescence désastreuse lorsqu’on a des boutons. En cinq minutes, j’aurais été capable d’expliquer ça.

samedi 13 octobre 2012

Chercher le temps

C'est en octobre que le temps nous échappe. Après avoir couru tout septembre, tout l'été, depuis avril, le temps fouette et nous rappelle la fin des choses. Je me souviens m'être baignée en juillet avec mon fils, à l'embouchure de la rivière moisie, marée basse et marée haute. Dans le courant fort de l'eau, on pataugeait. Je me souviens très clairement sa peau contre la mienne, parce qu'à l'embouchure, c'est presque la mer, et la mer au Nord c'est pas comme la mer au Sud. J'ai eu l'impression d'être comme ma mère, quand elle finissait pas céder, qu'elle enlevait son chandail, qu'elle gardait ses shorts, qu'elle se baignait avec nous, nous collés sur sa peau. Je me souviens d'un feu, derrière la maison de ma tante. Avec des amis de passage. Boire quelques bières, et se raconter que l'été était chaud, que l'air était bon, et qu'on espérait, chacun sans savoir comment, que nos vies se croisent, une autre fois. Je me souviens de cette idée assez absurde de faire de Kuessipan un film. Myriam, qui était venue jusqu'à Uashat, allée jusqu'à Mingan, pour voir l'innu-assi, pour parler avec les jeunes et moins jeunes des réserves. Je lui avais dit que rien n'était simple, que le plus simple était de ne porter aucun jugement. Et comme moi, lorsque je retourne chez-moi, elle avait remarqué la beauté, la fierté et le vrai. Alors, nous avons créé cette histoire, ce drame plein d'espoir. Nous avons cru que ça valait le coup. Tout juillet à inventer des vies, dans nos têtes, avec nos voix, sans presque rien écrire, tant l'histoire nous habitait. Je me suis dis qu'elle avait compris. Je me souviens de cette journée, où il fallait brusquement repartir. Retourner chez-moi, même si le concept de maison reste abstrait dans ma tête. Mon petit appartement qui m'attendait en désordre et la musique de la discothèque d'à-côté qui me réveillait en pleine nuit. Puis l'université, puis les travaux à remettre, puis les examens. C'est en octobre que le temps m'a échappé. Comme une marée trop haute. À contre-jour. Crédit photo Myriam Verrault.