jeudi 25 juin 2015

À ceux qui restent

Je mourrai demain, dans une semaine, dans un an, très vieille,
Je mourrai de peur, d’une maladie ancienne, d'un accident
Dans un hospice ou dans un parc
En plein centre-ville, en regardant mes arrières petits-enfants grimper sur les cordes raides
Les regarder se balancer, le sourire dans les yeux et se lancer des blagues
Je mourrai un matin, en plein midi ou à minuit,
Dans un sommeil de chair qui ne m’appartiendra plus, tellement j’aurai vécu
Je mourrai
mais pas parce que je l’aurai voulu

Je mourrai loin de mon pays, en voyage tout inclus, au soleil
Le clair de lune dans mon paysage et la nuit noire dans mes vagues
Je mourrai dans mon petit 4 et demi, allongée sur mon divan,
Avec ma série fétiche et des popcorn au beurre
Je mourrai parce que le beurre aura bouché mes artères,
Et que la solitude m’aura fait peur
Je mourrai assise sur un banc de brasserie à boire mon dernier porto
Ou en fumant une cigarette à neuf mètres de ma maison
Je mourrai
Mais pas de mes propres mains

Je mourrai après mes histoires d'amour et les envers
Après les voyages au Portugal et les soupers tardifs 
Après les feux au chalet et la pêche à la mouche
Après les diplômes de mon enfant et les dindes du jour de l'an
Après les couleurs, après la gaieté et en jouant à la fée des dents 
Je mourrai 
Mais pas par désespoir

Je mourrai avec mes peines, mes échecs, mes déboires
Je mourrai seule, affrontant l’adversité malgré ma misère
Enfouie sous un mètre de honte, je mourrai sans avoir accompli mes rêves,
Nue sous une marée de regards
Me jugeant, tentant de me faire perdre la foi
Ils me tueront goutte à goutte à cause de mon orgueil
Je mourrai
Mais pas de mes propres mains
Je te le jure 

Je mourrai dans ses bras, forts et vigoureux
Quand j’aurai fait un homme de lui, de ses grands yeux bruns et doux
Quand une femme l’aimera, que ses enfants l’admireront
Je mourrai en laissant, une parcelle de moi
Dans ses gestes et dans sa voix
Je mourrai en silence, sans reproches et sans conseils,
Je serai très faible, une enfant ridée que l’on doit endormir
Je mourrai bientôt ou très tard
Mais pas de mes propres mains
C’est ma promesse
Ma seule victoire sur ta mort

Pour tous ceux qui ont perdu un être proche à cause du suicide. 

jeudi 4 juin 2015

la Bête

Je prends la plume aujourd’hui, sans mauvais jeux de mots. Je prends la plume, sans parure, sans peur, sans œillères, sans fard et sans cette mauvaise foi qui caractérise la conversation que j’ai eue hier midi avec une enseignante ne possédant aucune qualification en éducation qui relatait béatement les nombreux troubles de sa classe à Mingan.

En prenant la plume aujourd’hui, je ressens le poids de cette armure que je souhaitais solide vis-à-vis les préjugés sur mon peuple, que je constate très fragile, presque de la porcelaine. Une chose polie, longuement admirée. Puis cassante devant le regard de l’autre. Je me tais. Parce que dès qu’une fille à la peau brune tient tête, elle devient bestiale.

Je suis une bête. Instruite. Intelligente. Émotive. Je ne rote pas, je sirote mes mots. Je les bois. Je m’enivre. Mais comme toute gueule de bois, le lendemain est difficile à avaler. Parce qu’une fois seule chez moi, je réalise qu’ils sont dix à ne pas m’aimer, cent à croire que les élèves innus sont incapables,  mille à juger l’homme qui boit dans la rue principale de la réserve, dix milles à ne pas comprendre l’importance de se moderniser dans nos traditions. Des millions, des milliers de millions à croire que nous, premiers habitants de ce territoire, n’avons pas bâti ce pays.

Je mords ma lèvre.Je me retiens. Je me tiendrai debout, demain. Ailleurs. Mon fils quand il aura vingt ans.

Demain, devant cette enseignante de Mingan. Je lui dirai, que nous sommes magnifiques.